Jorge Borrego, Secrétaire général adjoint pour l’énergie et l’action pour le climat à l’UpM : “Les pays du Sud ont énormément de savoir-faire à apporter aux pays du Nord”
Comme l’avait annoncé le Maroc en début d’année 2016, la COP22 a été la COP de l’Afrique. Un peu plus de six mois après la fin de ce sommet international, à l’heure où les catastrophes naturelles liées à la hausse générale des températures continuent de frapper ce continent de manière constante, quelles actions prioritaires doivent être réalisées pour limiter le réchauffement du climat en dessous de la barre symbolique des 2 degrés?
L’urgence de la question climatique est centrale. A l’échelle de la Méditerranée, la hausse de température a déjà atteint 1,3 degré l’an dernier. Nous sommes donc très proches de la limite basse de l’Accord de Paris (1,5 degré). Il y a cependant aujourd’hui un engagement clair de l’immense majorité de la communauté internationale non seulement à agir, mais surtout à agir vite. Pour cela, il faut démultiplier l’impact des mesures prises nationalement en renforçant les synergies.
La coopération intergouvernementale revêt donc une importance particulière, non seulement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais également pour faire face à l’impact du changement climatique sur l’eau, l’agriculture, le tourisme, l’énergie, les transports, etc. C’est en ayant une approche globale des questions du développement durable que les politiques climatiques seront pleinement efficaces.
Pendant la COP de l’Action, une attention toute particulière a été accordée à l’agriculture, activité nourricière de la planète pour laquelle travaille plus de 60% de la population africaine. Paradoxalement, un grand nombre de ces producteurs sont aujourd’hui victimes de problèmes liés à l’alimentation. Dans ce sens, quelles initiatives concrètes doivent être mises en place pour régler ces problèmes de sécurité alimentaire?
Lors de la Conférence ministérielle de l’UpM sur l’eau du 27 avril dernier à Malte, sous la co-présidence de l’Union Européenne et de la Jordanie, les ministres en charge de l’eau des États membres de l’UpM ont souligné la vulnérabilité de la région méditerranéenne à la pénurie d’eau et la pression que le changement climatique exerce sur les ressources existantes dans la région. Ils ont donc convenu de développer un agenda pour l’eau afin d’aider les États membres de l’UpM à mettre en œuvre des politiques de gestion de l’eau durables et intégrées, contribuant ainsi aux défis posés à l’agriculture et l’alimentation.
Il faut aussi repenser les pratiques agricoles et, dans ce domaine, les pays du Sud ont énormément un savoir-faire à apporter aux pays du Nord. Il faut donc développer des programmes de recherche conjoint. L’initiative PRIMA (Partnership for Research and Innovation in the Mediterranean area), dont les premiers appels à projets devraient voir le jour début 2018, joue un rôle clé pour ces transferts technologiques.
Nous travaillons aussi en synergie avec le CIHEAM et la FAO pour le développement d’actions concrètes. L’action développée par exemple par le Maroc dans le cadre du Plan Maroc Vert est à cet égard une référence importante.
Les changements environnementaux sont devenus l’un des principaux facteurs, sinon le principal, de migrations et déplacements de populations dans le monde. Selon les estimations de l’ONU, d’ici à 2050, 250 millions de personnes devraient quitter leurs pays d’origine à cause du réchauffement climatique. Face à cette catastrophe démographique envisagée, quelle serait votre solution pour lutter contre l’émigration massive en Afrique?
La migration ayant des causes environnementales est un fait. La plupart des pays font l’expérience de diverses formes migratoires liées à l’environnement et au changement climatique. L’essentiel pour traiter cette question efficacement est de participer aux efforts mondiaux traitant les causes de ces migrations, en considérant notamment que la Méditerranée a toujours été une zone de mobilité. Au niveau de l’UpM, le sujet des migrations occupe une place importante dans le dialogue intergouvernemental, notamment lorsqu’il est question de l’agenda du développement durable.
De façon très opérationnelle, nous labélisons et soutenons des projets qui traitent les problèmes environnementaux et socio-économiques de la région, permettent l’accès à une énergie durable, sécurisent l’accès à la ressource en eau, en particulier pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, soutiennent les efforts pour dépolluer la Méditerranée, mais également qui permettent une émergence de modèles de croissance inclusifs et durables pour l’ensemble de la région, renforçant l’employabilité, en particulier pour les jeunes, en s’appuyant notamment sur des économies vertes et bleues.
Travailler dans ces domaines confirme le besoin d’une approche globale et équilibrée sur les questions de mobilité, migration et développement, en construisant sur les outils existants. Nous développons ces actions dans le cadre d’une stratégie globale basée sur les interactions évidentes entre les trois niveaux suivants: Europe, Méditerranée, Afrique.
Dans six mois, les îles Fidji organiseront la COP23. Qu’attendez-vous de ce sommet?
Après deux COP méditerranéennes, à Paris et à Marrakech, la COP semble s’éloigner plus à l’Est. Les enjeux du Pacifique, et notamment des petits Etats insulaires, seront sans doute davantage mis en avant. C’est une formidable occasion pour montrer que les solutions développées par les pays euro-méditerranéens peuvent servir d’exemple pour les autres régions du monde. L’expérience de l’île d’El Hierro, en Espagne, la première île au monde autonome énergétiquement grâce aux énergies renouvelables, est un modèle pour des Etats insulaires.
Au niveau de l’UpM, nous travaillons sur des projets qui pourraient être lancés lors de la COP23, si les conditions le permettent, comme le projet Cluster Med Climate Transparency Initiative, le premier projet de coopération Sud-Sud-Nord impliquant le Maroc, la Tunisie, la France et la Croatie sur le renforcement de capacité des pays en développement dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris.
Nous pourrons aussi mettre en avant le travail que nous entreprenons en ce moment sur la mobilisation des financements en faveur de la lutte contre le changement climatique. Le rôle de l’UpM est de faciliter l’émergence de solutions partagées au niveau intergouvernemental. Ce savoir-faire unique peut en lui-même servir d’exemple lors de la COP23.