Noora Abdeen-Khalifeh: La Méditerranée, une incroyable voie d’entrée vers l’histoire
S’inspirer du passé pour créer un design moderne, telle est la recette du succès de Noora Khalifeh. La designer palestinienne propose des créations au point de croix faits à la main avec l’aide de plus de 80 femmes artisanes locales. Ensemble, elles défendent fièrement la culture et l’art historique de leur région.
« Le patrimoine palestinien me donne envie de l’observer et de le toucher en permanence. Plus je le regarde et en examine les couleurs, les broderies, les détails et les brocarts, plus il me donne envie de l’étudier, de l’explorer et de mieux le connaître ».
Le visage de Noora Khalifeh s’illumine lorsqu’elle parle de sa passion… Une passion qu’elle a transformé en métier. La créatrice est connue pour laisser le passé et le présent se rencontrer et intérargir dans ses créations. L’artisanat traditionnel s’étoffe de dessins et de tissus modernes et originaux. « Mon travail est de récupérer des brocarts et des broderies anciennes et de raconter les histoires et les contes liés aux vêtements palestiniens. Dans chaque broderie, il y a une histoire, des symboles et des anecdotes qui illustrent l’identité sociale du peuple palestinien ».
En Palestine, le « Tatreez » ou point de croix traditionnel est souvent considéré comme une pratique dépassée. Mais Noorah le considère comme un trésor national caché. « Mon père était antiquaire, il vendait des objets anciens et parmi eux, ces broderies. Je les ai toujours appréhendés d’une manière particulière. Ils sont comme des tableaux dont la création a demandé beaucoup de temps, d’efforts et de réflexion ». Dans un pays touché par les conflits, les difficultés économiques et les tensions politiques, la jeune créatrice a décidé de se concentrer sur la diversité et la beauté que la Palestine a à offrir. « Le secteur de la mode et du textile en Palestine a jusque-là été négligé et je le fais revivre en racontant l’histoire de ce peuple. Je tisse et dessine des pièces d’un passé resplendissant pour le conduire vers un avenir radieux ».
L’objectif de Noora Khalifeh n’est pas seulement de promouvoir et de faire vivre la tradition de son pays. Il s’agit également de donner aux femmes de sa région les moyens d’agir, tant sur le plan économique que personnel. « Il faut miser sur les communautés locales. Il est très important de proposer son projet dans sa propre communauté. Plus de quatre-vingt femmes palestiniennes travaillent dans ma maison de couture. Cela a un fort impact social et économique sur leur vie ». Une des fiertés de la créatrice est de voir des femmes douées embauchées et prêtes à transmettre leurs précieux talents de couturière aux jeunes générations d’artistes.
Les femmes méditerranéennes font face à de nombreux défis pour devenir économiquement et professionnellement indépendantes. C’est l’une des raisons pour lesquelles cette femme autodidacte encourage ses consœurs palestiniennes à s’entraider. « Les femmes sont alliées et partenaires les unes des autres et avec une telle émulation, une telle collaboration et échange de culture et d’expériences, nous pouvons viser très haut et briller dans l’industrie de la mode et le monde des affaires ».
Noora Khalifeh trouve son inspiration au sein de son équipe et des femmes stylistes qui l’entourent et la soutiennent : « Toutes les femmes et tous les designers sont des modèles pour moi. Chacun de nous peut être un modèle dans des domaines spécifiques. Chaque femme a quelque chose à m’apprendre ». En 2017, l’entrepreneuse palestinienne a bénéficié du programme soutenu par l’Union pour la Méditerranée « Promouvoir l’indépendance des femmes par un développement industriel inclusif et durable dans la région MENA ». Ces programmes compensent en partie le manque d’opportunités commerciales pour les femmes dans la région.
Cette idée de se soutenir et de s’inspirer mutuellement est applicable aux pays de la Méditerranée :
« La Méditerranée est un grand portail vers des histoires et des expériences dignes d’être observées. L’influence des sociétés proches les unes des autres est plus grande que celle des autres sociétés géographiquement éloignées ».
Le partage des histoires à travers la parenté et les générations mais aussi à travers les différents pays est au cœur du travail de Noora. La créatrice utilise des matériaux provenant de pays voisins et exporte ses créations aux États-Unis et en Jordanie. En 2017, Noora a présenté son travail à Paris pour la première fois, une consécration pour une entrepreneuse du secteur de la mode. « J’étais la plus jeune créatrice, tous les autres étaient plus âgés et plus expérimentés, mais c’était incroyable de faire voyager la mode palestinienne à Paris ».
De la promotion du patrimoine palestinien à la lutte contre société traditionnelle en passant par l’émancipation des femmes, Noora Khalifeh relève les défis les uns après les autres. Elle n’est pas à court d’énergie, la créatrice participe régulièrement à des ateliers et des forums où elle parle de son expérience et de sa passion en tant qu’entrepreneuse au Moyen-Orient.
Dans le but de mettre en lumière l’importance de la coopération et du développement dans notre région en se concentrant sur les histoires de chacun, ainsi que de souligner une identité méditerranéenne commune, des personnalités de tous horizons – politiques, institutions, artistes, musiciens, scientifiques, explorateurs – partagent leur parcours personnel de vie au sein de la Méditerranée ainsi que leurs espoirs pour la région. Les États membres de l’UfM ont déclaré le 28 novembre « Journée internationale de la Méditerranée », qui sera désormais célébrée chaque année afin de promouvoir une identité méditerranéenne commune tout en favorisant les échanges interculturels et en embrassant la diversité de la région.