Laurent Alfonso, sur l’importance des liens humain dans la protection civile
En février 2022, toute la population du Maroc et au-delà a retenu son souffle pendant quatre longues journées. Dans une petite ville proche de Chefchaouen, Rayan Oram, âgé de cinq ans, est tombé dans un puits ouvert, plongeant à plus de 30 mètres à travers l’étroite ouverture.
Les opérations de sauvetage, dirigées par la direction de la protection civile du Maroc, ont commencé un mardi soir, avec le déploiement de bulldozers et de matériel de forage pour atteindre le petit garçon. Par crainte d’un glissement de terrain, une énorme tranchée a dû être creusée à côté du puits, amorçant ainsi une opération longue et ardue. Pendant plusieurs jours, les sauveteurs se sont relayés pour faire avancer les travaux – surveillant, creusant, planifiant – conscients que chaque heure compte.
Malgré les efforts des sauveteurs et de la population locale qui s’était rassemblée pour soutenir la famille de Rayan, l’événement s’est terminé tragiquement dans la nuit de samedi à dimanche.
Le capitaine Laurent Alfonso se souvient avec émotion de ces quatre jours. En tant qu’expert de la protection civile de l’UE, il était en contact avec les officiers marocains durant toute l’opération de sauvetage.
« L’objectif était avant tout d’apporter un soutien moral », explique-t-il. « Les équipes locales maîtrisaient parfaitement la situation, qui était techniquement très compliquée. Mais on peut se sentir très seul quand on travaille sur le terrain 24 heures sur 24. Le soutien moral est essentiel pendant une opération, mais aussi après ».
En tant que sapeur-pompier français, le capitaine Alfonso a l’habitude d’être confronté à des situations extrêmes, ce qui lui permet d’empathiser facilement avec ses homologues. Sa longue carrière l’a envoyé dans presque tous les coins du monde pour former, soutenir ou participer à des opérations de sauvetage majeures, créant ainsi des liens et des connexions humaines au passage.
Il insiste sur le fait que lorsqu’il s’agit de sécurité et de protection civile, le facteur le plus important est toujours le facteur humain. Selon ses propres termes, la pandémie du Covid-19 a montré que c’est, par exemple, l’intelligence collective et la solidarité qui ont prévalu. Plus récemment, l’élan de solidarité spontanée dont ont fait preuve les citoyens européens pour accueillir et soutenir les réfugiés ukrainiens a travaillé en parfaite harmonie avec les opérations de secours gouvernementales.
Le capitaine Alfonso explique que la protection civile repose sur deux piliers : la connaissance et l’action, toutes deux visant à protéger les populations. Elle fait intégralement partie de la société et se manifeste chaque jour autour de nous, même si l’on peut avoir tendance à l’oublier. Dans le paysage médiatique, par exemple, il est rare qu’un lien explicite soit établi entre les opérations de secours en cas d’incident majeur et les mécanismes de protection civile dans lesquels elles s’inscrivent. Cependant, les sociétés interdépendantes d’aujourd’hui font que les cadres de coopération transnationaux gagnent chaque jour en pertinence, d’autant plus que les effets du changement climatique augmentent en intensité et en portée.
Face au changement climatique, la coopération euro-méditerranéenne en matière de protection civile est d’une importance capitale. Dans ce contexte, les mécanismes de protection civile doivent constamment s’adapter pour pouvoir anticiper, se préparer et répondre aux catastrophes de manière efficace et opportune. Le capitaine Alfonso a tendance à voir son “verre à moitié plein”, et préfère se concentrer sur les opportunités cachées derrière les défis. À titre d’exemple, il est intimement convaincu que les pays de la rive sud de la Méditerranée, qui ont commencé à ressentir l’impact négatif du changement climatique bien avant d’autres régions, peuvent apporter beaucoup de connaissances en matière de résilience. Tel qu’il l’explique, « ces pays sont un laboratoire de bonnes pratiques et une vision de l’avenir de certaines des zones les plus méridionales de l’Europe ». Qu’il s’agisse de sécheresse, de risques acridiens, d’événements sismiques ou de crues soudaines, ce sont autant de catastrophes naturelles qui affectent les pays de la rive sud depuis plusieurs années.
Depuis 2009, le « Programme Euromed de prévention, de préparation et de réponse aux catastrophes naturelles et d’origine humaine » (PPRD South, de son acronyme anglais) fournit un cadre pour la coopération régionale en matière de protection civile. Impliqué dans ce programme, le capitaine Alfonso souligne plusieurs avantages apportés par celui-ci, à commencer par sa portée régionale et sous-régionale qui permet de couvrir une large zone géographique. Ce projet permet également de planifier et de construire à long terme autour d’une plateforme commune, tout en offrant une approche holistique du cycle de gestion de crise en termes de prévention, de préparation, de réponse et de reconstruction.
La coopération multilatérale pose souvent des défis, encore plus en ce qui concerne la protection civile, car elle reflète les sociétés dans lesquelles elle est construite, s’adaptant à ses exigences uniques ainsi qu’aux besoins de la population. Cependant, des programmes tels que le PPRD et les échanges cultivés au fil des ans entre les deux rives de la Méditerranée ont conduit à une forme d’harmonisation en termes de connaissance et de réponse, renforçant la qualité des résultats stratégiques, tactiques et opérationnels.
Le capitaine Alfonso aime se souvenir du moment où il a senti que son travail portait ses fruits. Dans un contexte où des pertes humaines peuvent survenir malgré des efforts et sacrifices considérables, il peut parfois être difficile de voir la lumière au bout du tunnel.
En 2016, le capitaine Alfonso s’est déplacé en Argentine dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale avec la France, afin de former tous les gestionnaires de feux de forêt des 23 provinces du pays. L’année suivante, il a retrouvé les équipes argentines au Chili, alors qu’il participait à une opération de coopération transfrontalière apportant son soutien dans ce qui a été décrit comme les pires feux de forêt de l’histoire du Chili. Il explique avec un sourire le bonheur qu’il a éprouvé en retrouvant des visages familiers, avec qui la confiance était déjà établie, alors qu’ils se retrouvaient en plein cœur d’une situation désastreuse. Ce fut également pour lui une excellente occasion de mesurer l’énorme potentiel des réseaux de protection civile et les valeurs universelles qu’ils véhiculent.
Si nous ne devions retenir qu’une seule chose sur la protection civile, c’est que les liens humains et la solidarité sont la seule voie à suivre pour un avenir meilleur.
À propos de l’UpM et de la protection civile
En octobre 2009, les directeurs généraux des autorités nationales de protection civile de tous les États membres de l’UE et des 14 pays partenaires méditerranéens et des Balkans de l’UpM (Albanie, Algérie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Monténégro, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie et Turquie) se sont réunis à Bruxelles pour une réunion de pilotage afin de discuter et d’approuver le plan d’action du troisième programme Euromed de protection civile.
Sous le nom de “Programme Euromed de prévention, de préparation et de réponse aux catastrophes naturelles et d’origine humaine” (PPRD South), l’objectif général du projet est de contribuer à accroître la résilience et à réduire les coûts sociaux, économiques et environnementaux des catastrophes naturelles et d’origine humaine dans la région Sud de la Méditerranée.
Depuis février 2022, le capitaine Laurent Alfonso est détaché par le gouvernement français auprès de l’Union pour la Méditerranée pour soutenir le dialogue euro-méditerranéen sur la protection civile.