Nos différences nous renforcent
Depuis février 2020, il y a de fortes chances pour que la plupart d’entre nous aient effectué et consulté les résultats d’au moins deux ou trois tests de dépistage du Covid-19. Les raisons diffèrent : symptômes suspects ou bien une visite prévue avec un proche à risque. La fréquence des tests monte en flèche pour les enfants se rendant à l’école ou le personnel de santé. Il est facile d’oublier que ce processus simple, qui fait désormais partie intégrante de nos vies, peut être très difficile pour les personnes aveugles ou malvoyantes. Comment voir le résultat ? Vous avez besoin de quelqu’un pour le lire à votre place. Que faire si vous vivez seul, ou si personne n’est disponible à ce moment précis ?
Ce petit exemple montre simplement pourquoi l’inclusion sociale est si importante. L’inclusion sociale consiste à garantir à chacun d’entre nous une vie autonome et digne. Les défis auxquels sont confrontées les personnes en situation de handicap sont encore peu connus du grand public, alors que celles-ci composent près de 15 % de la population de la région méditerranéenne. Cela représente 3 personnes sur 20, constituant la plus grande minorité de toute société..
Jahda Abou Khalil est une activiste du mouvement pour les personnes en situation de handicap depuis 1988. Née et élevée dans le sud du Liban, Jahda a déménagé à Beyrouth pour poursuivre ses études, où elle a obtenu son master en psychologie clinique. Aujourd’hui, elle est Directrice Générale de l’Organisation Arabe des Personnes Handicapées (OAPH). Rien ne laissait présager à l’époque que Jahda consacrerait sa carrière à la sensibilisation et à l’amélioration de la vie des personnes en situation de handicap. Aucun membre de sa famille ne souffrait d’un quelconque handicap, ni aucune de ses connaissances. Pourtant, à la suggestion d’un ami, Jahda a décidé d’axer son doctorat sur la perception du corps des personnes en situation de handicap. En commençant ses recherches, elle s’est rendu compte du peu d’informations disponibles sur le handicap dans la région. Alors que son enquête l’a conduite à s’impliquer de plus en plus auprès de personnes souffrant d’un handicap et de militants du secteur, Jahda admet en souriant qu’elle a commencé à oublier son doctorat. Elle a rapidement rencontré Nawaf Kabbara, l’actuel président de l’OAPH (Organisation Arabe des Personnes Handicapées), qui était déjà dans les années 80 une figure marquante du mouvement. Ensemble, ils ont fondé un centre de recherche pour promouvoir les droits des personnes en situation de handicap.
Selon Jahda, le manque de données et de statistiques dans ce secteur est l’un des principaux défis à relever pour améliorer les politiques publiques et l’inclusion sociale. Bien que l’on trouve davantage de données dans certains pays européens, la situation est particulièrement critique dans les régions du Maghreb et du Mashrek.
En Espagne, Patricia Sanz est née avec une déficience visuelle. Elle est affiliée depuis sa naissance au groupe social ONCE, une organisation unique, qui a mis en place, en 80 ans, un système de prestations sociales pour les aveugles et les malvoyants. Patricia est aujourd’hui l’une des quatre vice-présidentes du groupe social ONCE.
Tout comme Jahda, Patricia a étudié la psychologie, puis ses premières expériences professionnelles ont renforcé son intérêt à mieux comprendre les défis auxquels sont confrontées les personnes souffrant d’autres handicaps. Alors qu’elle travaillait en tant que professionnelle des ressources humaines dans une entreprise de recrutement, Patricia faisait déjà du lobbying pour améliorer l’égalité des chances en matière d’emploi pour les personnes en situation de handicap. Selon ses propres termes, elle a constaté d’énormes progrès au cours des 20 dernières années dans la façon dont le handicap est abordé en société : « Le seul problème, c’est que plus vous voyez de progrès, plus vous voulez en faire, et plus les défis apparaissent », dit Patricia en riant.
Cependant, constater des progrès ne signifie pas que le travail est terminé. La situation des personnes souffrant d’un handicap varie considérablement au sein de la région euro-méditerranéenne. Chaque pays a sa propre approche du handicap, ainsi que sa propre perception des personnes en situation de handicap, conditionnée par l’histoire et les mouvements sociaux du pays. Toutefois, il est facile de trouver des points communs – et des défis -, surtout lorsqu’il s’agit des femmes souffrant de handicap. Quel que soit le pays, les femmes en situation de handicap souffrent toujours d’une double discrimination : elles sont sous-représentées dans la sphère politique, économique et sociale, et sont plus susceptibles d’être analphabètes, sans emploi et non prises en charge par le système de santé.
Comme l’explique Jahda, dans de nombreux pays, les femmes en situation de handicap ne sont pas prises en compte par la loi. Cette dernière manque en effet d’une perspective genrée dans l’appréhension du handicap. Patricia nous rappelle qu’en ce qui concerne la violence contre les personnes en situation de handicap, les femmes sont plus susceptibles de 8% de subir des violences mentales ou physiques, comparé aux hommes en situation de handicap. De plus, le fait d’être dépendantes financièrement est un facteur qui, souvent, ne leur permet pas de se libérer d’un environnement domestique violent.
Un changement de perception est nécessaire pour que les personnes en situation de handicap aient une véritable autonomie. Actuellement, la protection sociale est considérée comme un substitut à l’emploi. Cependant, au lieu de prévoir une allocation pour les personnes atteintes d’un handicap, l’accent devrait être mis sur leur intégration dans le marché du travail. Dans le cadre d’une coopération euro-méditerranéenne sur ce sujet, le tourisme a montré un grand potentiel pour l’inclusion sociale et économique des personnes en situation de handicap, surtout pour les jeunes et les femmes. Comme le dit Patricia :
« la coopération dans la région ne peut ignorer les spécificités des défis rencontrés dans chaque pays. Cette coopération doit toujours être respectueuse des différences culturelles, et ce n’est pas parce que quelque chose fonctionne dans un pays que cela fonctionnera automatiquement dans un autre. […] Nous obtiendrons de meilleurs résultats grâce à la force issue de nos différences. »
L’action de l’UpM en matière d’inclusion sociale
La récente conférence de l’UpM sur le handicap et l’inclusion sociale dans la région euro-méditerranéenne (26-27 janvier 2022) a eu lieu presque un an après l’adoption de la stratégie de l’UE pour les droits des personnes en situation de handicap 2021-2030, et visait à promouvoir la sensibilisation aux besoins des personnes souffrant d’un handicap. En outre, en étroite collaboration avec le groupe social ONCE, l’UpM soutient actuellement un projet pilote au Maroc pour faciliter l’inclusion économique des femmes en situation de handicap dans le secteur du tourisme.
L’UpM estime que les pays et les organisations de la société civile devraient coopérer pour ouvrir des voies d’autonomisation économique et d’inclusion financière afin que les personnes en situation de handicap puissent bénéficier d’un travail décent et atteindre l’indépendance financière. Cela implique de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, de fournir une protection sociale, de garantir la formation professionnelle nécessaire et de rendre les lieux de travail plus accessibles.
La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes en situation de handicap a accéléré la reconnaissance régionale du handicap comme élément central des initiatives de développement humain et de justice sociale. De plus, conformément aux principes énoncés dans l’Agenda de l’UE pour la Méditerranée adopté en 2021, l’UpM déploie des efforts pour garantir la pleine jouissance des droits des personnes en situation de handicap et la collecte de données désagrégées pertinentes, qui sont essentielles pour promouvoir une meilleure législation.
C’est pourquoi l’UpM s’engage pleinement à contribuer à ce défi. En effet, dans la Stratégie Jeunesse 2030 de l’UpM récemment adoptée, l’autonomisation complète des personnes en situation de handicap a été particulièrement soulignée.
Liens d’intérêt
- Groupe social ONCE : site web
- ” Les expériences de vie de 21 femmes qui ont défié le handicap “, par Mme Jahda Abou Khalil
- La conférence de l’UpM sur le handicap et l’inclusion sociale dans la région euro-méditerranéenne – Rapport final