Asma Kherrati: les rêves des femmes ne devraient pas être hors de portée
Au Maroc, 6,5 millions de femmes travaillent dans la production alimentaire rurale. Plus de la moitié de ces femmes travaillent de façon informelle sans contrat, et donc sans accès à la protection sociale, aux soins de santé ou aux structures formelles qui leur permettraient de bénéficier d’un soutien gouvernemental face à la pandémie de Covid-19. Dans le sillage de la pandémie, la région euro-méditerranéenne a connu de profondes répercussions socio-économiques, qui menacent de compromettre une décennie de développement économique.
En réponse à cette situation, l’Union pour la Méditerranée, financièrement soutenue par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH (GIZ), a lancé en août 2020 un programme de subventions. Quatre projets ont été récompensés par ces subventions, dont le projet FLOWER orienté vers le secteur agricole et l’autonomisation des femmes rurales.
Le secteur agricole a été particulièrement touché par la pandémie en raison de la limitation de la circulation des personnes et des marchandises, de la fermeture des marchés et des points de vente habituels, et des changements dans les pratiques de consommation, y compris l’appréhension envers des produits dont la production ne peut être retracée.
Le projet FLOWER avait donc vocation à sensibiliser les travailleuses à leurs droits socio-économiques, aux risques sanitaires de la pandémie et aux opportunités disponibles en termes de loi, de fonds et de fonctionnement du marché, afin d’obtenir de meilleures conditions de travail, de production processus, qualité et hygiène des produits alimentaires, canaux de distribution et accès aux marchés locaux et nationaux.
Découvrez l’interview d’Asmaa Kherrati, coordinatrice du projet FLOWER :
Pourriez-vous nous expliquer brièvement comment fonctionne le projet FLOWER ?
Le projet FLOWER a été mis en place en Maroc et en Tunisie et vise à renforcer l’autonomisation des femmes rurales, à travers un plan d’action concret. Nous sommes partis d’un diagnostic pour évaluer la situation des femmes en milieu rural depuis la pandémie. Celui-ci nous a notamment permis d’identifier les acteurs locaux, que ce soient des femmes qui avaient déjà créé des coopératives ou d’autres qui étaient en situation précaire dans le sens où elles travaillaient dans l’économie informelle.
Au Maroc seulement, nous avons pu accéder à plus de 1000 femmes, toutes touchées par les conséquences de la pandémie du Covid-19. Le défi qui revenait le plus était lié à la commercialisation, car celles-ci étaient habituées à participer à diverses foires pour la vente de leurs produits, ce qui n’était évidemment plus possible pendant une très longue période à la suite de la pandémie.
Le projet aide beaucoup les femmes dans le sens où c’est une excellente opportunité pour acquérir des compétences liées à la commercialisation d’un produit, l’e-commerce, le marketing et la communication afin de s’adapter au mieux à un marché changeant et dépasser la crise du Covid-19. Au final, le projet FLOWER leur permet d’être plus autonome et résiliente face à ces défis, et renforce leur capacité d’adaptation.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience d’être une femme dans votre domaine au Maroc ? Avez-vous rencontré des obstacles ou des défis ?
Après plusieurs années au Sénégal pour raisons professionnelles, j’ai créé avec d’autres co-fondatrices l’entreprise sociale « Enjoy Agriculture », qui met en relation des femmes rurales travaillant dans l’agriculture avec des voyageurs en provenance du monde entier et qui souhaitent découvrir les traditions culinaires et agricoles africaine.
Je suis donc revenue au Maroc il y a presque deux ans, où j’ai pu remarquer les progrès concernant la situation des femmes et l’égalité des genres. Cependant les statistiques ne mentent pas, et celles-ci indiquent bien les différences qu’il reste à combler entre les hommes et les femmes en termes d’autonomisation et d’accès au marché du travail. On rencontre cette situation aussi dans la vie de tous les jours, où on peut ressentir l’effacement des femmes surtout quand il s’agit du travail ou le scepticisme de certains hommes lorsqu’une femme gère sa propre entreprise. D’où l’importance de projets tels que FLOWER, qui permet d’améliorer l’autonomisation des femmes et surtout leur donner un rôle « d’actrice » de leur vie, et pas seulement de « spectatrice ».
Quels sont les avantages que les coopératives apportent aux femmes rurales (et au-delà), par rapport aux entreprises “traditionnelles” ?
Les coopératives permettent aux femmes d’avoir un statut professionnel équivalent aux entreprises dites « traditionnelles », et facilite aussi la prise de décision collective. Les coopératives créent de la valeur et donnent une place aux femmes au sein de la société, où elles peuvent elles aussi prendre des décisions, en tant « qu’actrice », et leur permet aussi d’assurer leur autonomie financière à travers des rétributions justes et équivalentes aux heures de travail investies. Le statut des coopératives est donc beaucoup plus intéressant, pertinent et adapté à la société marocaine et des femmes rurales qui la compose.
Quel est votre souvenir préféré de votre expérience avec le projet FLOWER ?
Ce projet nous a amené à rencontrer beaucoup de femmes et de coopératives qui font vraiment un travail exceptionnel. Je garde un très bon souvenir d’une journée en particulier, où nous avons réalisé, avec nos consultantes, un atelier sur le leadership féminin. C’était une journée incroyable car c’est là où nous avons vu ressortir les situations personnelles de chacune de ces femmes, les défis auxquels elles sont confrontées au quotidien. Cependant, elles ont toutes fait preuve d’une grande résilience pour amener des produits aux consommateurs qui préservent les traditions locales avec des processus de production durable, et tout ça en maintenant une très grande qualité de produit. C’est très inspirant pour moi, en tant que femme mais aussi en tant qu’entrepreneure.
Quelles sont les prochaines étapes pour le projet FLOWER ? Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Une fois que tous les ateliers liés à la commercialisation et marketing seront finalisés, il nous restera encore une étape de mise en relation avec des plateformes de vente qui permettront à ces femmes d’apporter de la visibilité à leurs coopératives et produits. C’est un très grand pas au sein du projet, qui permettra à ces femmes de commercialiser leurs produits tant au niveau national qu’international.
Personnellement, je retiens de ce projet que les femmes doivent continuer à se battre et à être résilientes, à mettre en avant leur savoir-faire pour pouvoir, en tant que femme, trouver leur place dans la société. Il est très important que les femmes n’oublient pas leurs rêves, et que leur projet de vie peut être à portée de main.
Enfin, comment vos expériences, de FLOWER et d’ailleurs, ont-elles influencé votre perspective sur l’avenir de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes ?
Je pense qu’il reste encore beaucoup de travail à faire, quel que soit le pays concerné. Mais il est très important de ne rien lâcher, de continuer à lutter pour nos droits, que ce soit au sein de la famille, avec nos amis ou notre entourage professionnel. Il faut continuer à se former, continuer à monter en compétence et garder l’œil ouvert sur le monde et ce que d’autres femmes ont pu faire, pour le prendre en exemple et continuer à faire bouger les choses, chacun à son niveau.