
Usama Sadawi sur la politique de la reconstruction : pourquoi la confiance, la justice et l’inclusion doivent guider le relèvement de Gaza
Sur fond de conflit au Moyen-Orient et d’autres enjeux majeurs tels que les tendances climatiques alarmantes et l’aggravation des disparités socio-économiques, l’Union pour la Méditerranée a organisé une session de consultation inclusive et participative. Coorganisée avec l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed), dans le cadre du 30ᵉ anniversaire du Processus de Barcelone, cette consultation portait sur la vision future, les priorités et le mandat de l’organisation. Usama Sadawi y a pris part lors d’une discussion consacrée au rôle que l’UpM pourrait jouer dans le processus de relèvement post-conflit à Gaza.
M. Sadawi est ingénieur et entrepreneur palestinien, ancien ministre d’État chargé de l’Entrepreneuriat et de l’Autonomisation. Né dans les camps de réfugiés de Rafah, il a étudié le génie civil à l’université de Birzeit et à l’université islamique de Gaza. Il a également été directeur général du Conseil palestinien du logement à Gaza.
Question : Vous avez consacré votre carrière à la diplomatie et à la coopération régionale. D’après votre expérience, quelles leçons avez-vous tirées de ce qui fonctionne – et de ce qui ne fonctionne pas – en matière de stratégies de relèvement post-conflit ?
Usama Sadawi : Mon expérience en matière de reconstruction post-conflit m’a appris que l’intégration est un facteur clé. Nous devons coordonner toutes les ressources et les efforts – locaux, régionaux et internationaux – afin d’assurer une approche globale.
Un autre élément crucial est l’inclusion des communautés locales. L’appropriation par les habitants est essentielle, car ce sont eux qui, en fin de compte, mèneront les efforts de reconstruction.
Actuellement, l’ampleur des destructions à Gaza est immense : plus de 80 % du territoire a été dévasté. Cela exige des solutions innovantes et inédites. L’une des pistes pourrait être l’expropriation de terrains pour améliorer les infrastructures. Le secteur privé doit être associé, tout comme les communautés marginalisées, afin de garantir une inclusion sociale complète dans la planification, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation.
Un autre aspect déterminant consiste à garantir le soutien international pour assurer l’acheminement des fonds et des matériaux. Depuis 2007, l’accès aux matériaux de construction est restreint par des mécanismes tels que le Grievance Redress Mechanism (GRM), longs et lourds, qui retardent la reconstruction. Selon des experts internationaux, dans ces conditions, il pourrait falloir jusqu’à 90 ans pour reconstruire entièrement Gaza.
La relance économique est aussi un volet fondamental de la reconstruction. Le processus doit créer des emplois, renforcer les capacités locales et soutenir la reprise du secteur privé. Toute la chaîne d’approvisionnement – matériaux de construction, industries liées à la reconstruction, agriculture et commerce – a été démantelée et détruite au cours de cette guerre. Nous ne partons pas de zéro, mais nous faisons face à des défis immenses, notamment des niveaux élevés de pollution et une énorme quantité de débris à gérer avec précaution en raison des munitions non explosées.
Il est essentiel de relier les efforts de secours immédiats – tels que l’aide médicale, l’hébergement et la sécurité alimentaire – aux objectifs de reconstruction à long terme. Se concentrer uniquement sur les besoins immédiats entraînerait l’effondrement du processus. L’urbanisme joue un rôle vital dans l’articulation entre secours et développement, et la participation des communautés est déterminante pour sa réussite.
Le processus de relèvement inclut-il également un soutien psychologique et la guérison des traumatismes ?
Absolument. L’impact psychologique sur la population est immense. Plus de 90 % des habitants de Gaza ont besoin d’un soutien psychosocial. Cela peut être pris en charge à travers des programmes ciblés mais aussi via le processus de reconstruction lui-même – par exemple en créant des espaces publics ouverts, en offrant des opportunités de formation et en renforçant les capacités.
L’implication des jeunes est particulièrement cruciale dès le début de la phase de reconstruction. Des initiatives rapides et visibles peuvent aider les jeunes à se sentir intégrés et acteurs du processus, ce qui décourage la migration et limite la fuite des cerveaux.
Vous venez d’une région profondément marquée par les conflits. En quoi cela a-t-il façonné votre vision du rôle du dialogue et de la coopération ? Comment des institutions comme l’UpM peuvent-elles faire une réelle différence ?
En Palestine, notre récit est celui d’une lutte prolongée. Depuis plus de 70 ans, nous connaissons des cycles répétés de violence et d’instabilité. Je connais beaucoup de personnes dont les maisons ont été détruites et reconstruites trois fois.
La véritable stabilité ne peut être atteinte que par un processus de paix crédible, débouchant sur une solution à deux États, comme convenu par la communauté internationale et inscrit dans les résolutions des Nations unies. Sans cela, le conflit perdurera.
L’UpM peut jouer un rôle dans la construction de la confiance entre les deux parties. Le principal enjeu n’est pas la négociation en soi, mais l’instauration de la confiance. Pour les Palestiniens, il s’agit de restaurer la dignité, la souveraineté et l’accès à nos ressources naturelles. L’écart économique entre Palestiniens et Israéliens est frappant : le PIB d’Israël est environ dix fois supérieur à celui de la Cisjordanie et de Gaza, alors même qu’ils sont géographiquement voisins et partagent des conditions de vie similaires.
Une approche globale est nécessaire – une approche qui s’attaque aux causes profondes du conflit et ne se limite pas aux négociations. C’est une solution réelle et durable qui est indispensable.
Pensez-vous qu’il soit encore possible, à l’avenir, que les peuples méditerranéens se fassent confiance ?
Aujourd’hui, il est extrêmement difficile de reconstruire la confiance. Nous avons mis à l’épreuve la solidité du droit international, du droit humanitaire et des institutions mondiales. Même la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ) ont subi des répercussions politiques de la part de pays influents.
Nous avons besoin de mécanismes solides de résolution des conflits et de lignes directrices claires qui s’appliquent à tous. L’obligation de rendre des comptes doit concerner tout le monde. Ce n’est qu’en veillant à ce que la justice soit respectée universellement que nous pourrons espérer rétablir la confiance et la stabilité dans la région.
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