
Nimrod Goren sur le dialogue méditerranéen en temps de division : pourquoi les peuples – et non la politique – détiennent la clé
Sur fond de conflit au Moyen-Orient et d’autres enjeux majeurs tels que les tendances climatiques alarmantes et l’aggravation des disparités socio-économiques, l’Union pour la Méditerranée a organisé une session de consultation inclusive et participative. Coorganisée avec l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed), dans le cadre du 30ᵉ anniversaire du Processus de Barcelone, cette consultation portait sur la vision future, les priorités et le mandat de l’organisation. Nimrod Goren y a participé lors d’une discussion consacrée au rôle que l’UpM pourrait jouer dans le processus de relèvement post-conflit à Gaza.
Le Dr Goren est cofondateur de Diplomeds et fondateur de Mitvim. Titulaire d’un doctorat de l’Université hébraïque de Jérusalem, il a été boursier Hubert Humphrey. Il intervient régulièrement dans les médias internationaux sur la politique étrangère israélienne, les relations régionales et la diplomatie méditerranéenne.
Question : Vous êtes engagé depuis de nombreuses années dans la coopération euro-méditerranéenne à travers votre carrière et vos recherches. Fort de votre expérience, que recommanderiez-vous de renforcer ou de promouvoir pour améliorer la stabilité et la sécurité au niveau euro-méditerranéen ?
Nimrod Goren : Si nous voulons renforcer la sécurité et la stabilité dans la région euro-méditerranéenne, il faut adopter une approche centrée sur les populations plutôt que sur les gouvernements. Cela implique de donner la priorité aux besoins réels des habitants. Trois enjeux majeurs doivent retenir notre attention : les conflits, le manque de libertés et l’impact du changement climatique.
Il ne s’agit pas uniquement des intérêts de Bruxelles, de l’UE ou des gouvernements de la région. L’attention doit se porter sur des initiatives ayant un réel impact sur la vie des civils. Lorsque les politiques et les actions répondent véritablement à leurs besoins, les chances de réussite et d’impact concret augmentent considérablement.
Que faudrait-il prioriser dans le prochain agenda des relations entre l’UE et le voisinage Sud ?
L’agenda ne devrait pas adopter une approche centrée sur l’UE vis-à-vis du voisinage Sud, ni être dicté par des relations transactionnelles entre gouvernements. Une logique de donnant-donnant peut sembler simple à mettre en œuvre, les gouvernements privilégiant les gains économiques ou la sécurité nationale, mais l’engagement devrait aller plus loin : il doit reposer sur des valeurs.
Quand on parle de coopération entre le Nord et le Sud, il faut se demander quel type de monde, de communauté et de voisinage nous voulons construire, et sur quels principes cette relation doit s’appuyer. Cela suppose d’aller au-delà des accords sur des sujets faciles et de s’attaquer aux raisons profondes qui motivent le partenariat. Là encore, il s’agit de se concentrer sur ce qui est vraiment dans l’intérêt des populations de la région.
D’après votre expérience personnelle, quelles leçons avez-vous tirées sur ce qui fonctionne – ou pas – dans les stratégies de relèvement post-conflit ?
Un relèvement post-conflit efficace nécessite une vision claire du résultat à atteindre. Quel est l’objectif final ? S’agit-il simplement de rétablir le statu quo d’avant-guerre – qui a peut-être contribué au déclenchement du conflit – ou bien de transformer la région et de la faire évoluer vers un avenir meilleur ?
Il est essentiel que cette vision soit portée localement. Les plans de relèvement ne doivent pas être imposés par des acteurs extérieurs qui ne connaissent pas les besoins de la région. Ils doivent émerger de l’intérieur, soutenus par la volonté politique des acteurs concernés. La stabilité est également indispensable pour créer les conditions propices à la coopération et aux efforts conjoints.
La collaboration multinationale est déterminante. Différents pays et acteurs doivent unir leurs efforts autour d’une vision commune, garantissant ainsi une adhésion régionale. Parmi les exemples réussis, on peut citer la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine après les guerres de Yougoslavie, où efforts internationaux et locaux se sont conjugués pour reconstruire institutions, infrastructures et société civile. De même, le processus de réconciliation post-génocide au Rwanda a montré comment l’appropriation locale et l’engagement à long terme peuvent mener à un relèvement et à une transformation réussis.
Vous venez d’une région profondément marquée par les conflits. En quoi cela a-t-il façonné votre vision du rôle du dialogue et de la coopération ? Les institutions comme l’UpM doivent-elles évoluer pour avoir un réel impact ?
Les conflits soulignent l’importance du dialogue et de la coopération, même dans les périodes les plus sombres. Les destructions consécutives aux événements du 7 octobre en Israël et à la guerre à Gaza ont eu un impact profondément personnel et ont influencé les attitudes et perceptions politiques.
Quand les gens se replient sur eux-mêmes et se désengagent, les chances de comprendre la perspective de l’autre diminuent. Sans engagement, les réseaux et liens entre parties en conflit restent limités.
Chez Diplomeds, nous avons créé un Groupe consultatif méditerranéen dès le début de la guerre. Cette initiative est née d’un sentiment d’urgence : nous vivons dans la région et voulons un avenir meilleur. Si nous ne faisons rien, la situation ne changera pas.
S’engager ne signifie pas être d’accord. Les discussions peuvent être difficiles, mais il existe suffisamment de personnes prêtes à y participer – aussi bien au niveau bilatéral israélo-palestinien qu’au niveau méditerranéen élargi. Ces canaux de dialogue doivent être entretenus, car ils offrent une rare source d’optimisme en période de crise.
Pensez-vous qu’il soit encore possible, à l’avenir, que les peuples méditerranéens se fassent confiance ?
Avant les récents conflits, on observait des progrès notables dans les relations bilatérales entre pays méditerranéens. Plusieurs États avaient engagé des rapprochements et renforcé leurs liens diplomatiques.
Cependant, l’intégration régionale reste un défi, notamment dans les zones de conflit. La confiance est longue à reconstruire, et les tensions géopolitiques compliquent encore la tâche.
Cela dit, l’identité méditerranéenne possède des dimensions immatérielles uniques, mêlant influences moyen-orientales, nord-africaines et européennes. Cette identité commune nourrit un sentiment de proximité et peut servir de base au dialogue. Placer les échanges dans un cadre méditerranéen – plutôt que strictement bilatéral – peut ouvrir de nouvelles perspectives.
Par exemple, lorsque l’on aborde les relations israélo-palestiniennes dans un contexte méditerranéen, on découvre souvent de nouvelles possibilités de dialogue qui n’émergeraient pas dans un cadre purement bilatéral. Ces opportunités doivent être exploitées pour bâtir la confiance et renforcer la coopération dans la région.
Pour aller plus loin
- Consultation ouverte sur la vision et le mandat futurs de l’UpM
- 30 ans du Processus de Barcelone
- Diplomeds – Le Conseil pour la diplomatie méditerranéenne
Date de publication: août 2025