
Entretien avec le Professeur Mostapha Bousmina, président de l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès (UEMF)
Créée comme projet phare labellisé par l’Union pour la Méditerranée, l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès (UEMF) est devenue un symbole de l’intégration régionale et de l’excellence académique. En valorisant le multiculturalisme, l’innovation et la durabilité, l’UEMF accueille des étudiantes et étudiants ainsi que des enseignants venus de l’ensemble du bassin méditerranéen pour apprendre, collaborer et concevoir des solutions face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Nous avons rencontré le Professeur Mostapha Bousmina, président de l’Université, pour recueillir ses réflexions sur l’identité singulière de l’UEMF, sa mission, et son rôle dans l’avenir de la région.
L’UEMF revendique une forte identité euro-méditerranéenne. Comment cette dimension se manifeste-t-elle concrètement dans votre approche pédagogique, vos partenariats et vos actions face aux grands défis régionaux ?
Vous avez raison de parler d’identité euro-méditerranéenne, car elle reste encore à consolider. Personnellement, je me sens profondément méditerranéen, dans ma manière de penser et d’interagir. Mais cette conscience collective n’est pas encore suffisamment ancrée dans le subconscient et dans l’imaginaire des peuples des deux rives de la Méditerranée. L’UEMF œuvre, humblement, à renforcer ce sentiment d’appartenance, car l’alliance entre le Nord et le Sud est essentielle pour notre avenir commun.
Cette vision se reflète dans notre diversité : l’UEMF accueille des étudiants et enseignants de plus de 50 nationalités, venus des deux rives de la Méditerranée, mais aussi d’Afrique subsaharienne. Ensemble, ils conçoivent des projets, innovent, et construisent une vision partagée de l’avenir. C’est une véritable joie de les voir collaborer au quotidien.
Nos programmes sont également ancrés dans cette réalité. En sciences politiques, par exemple, les étudiants étudient l’intégration régionale, les dynamiques du 5+5, l’Union pour la Méditerranée, et d’autres cadres de coopération. L’euro-méditerranée est intégrée à leur formation.
Nous développons aussi des cursus liés aux enjeux climatiques. La région est particulièrement vulnérable au stress hydrique et aux effets du changement climatique. Nous proposons des formations théoriques et pratiques sur les énergies renouvelables, la résilience et l’adaptation, impliquant étudiants et enseignants des deux rives. Nous avons également intégré des technologies durables sur notre campus, en cohérence avec nos principes.
Au fond, nous cherchons à transmettre une idée simple : ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui nous divise – culturellement, humainement, et même face aux défis environnementaux.
Comment sensibilisez-vous vos étudiants à cette communauté de destin méditerranéenne ?
Nous partageons bien plus que des frontières. Les peuples de la Méditerranée rient aux mêmes blagues, s’expriment avec les mêmes gestes, et cuisinent des plats similaires – riches en légumes, en fruits, en pain. Nous avons tous un lien profond à la terre.
C’est aussi la région d’origine de la philosophie, des grandes religions, du romantisme, des mathématiques, et des sciences physiques. Certes, nous avons parfois des tensions, mais nous partageons une histoire commune. Il est temps de réinventer la Méditerranée avec un regard nouveau, presque comme un plan Marshall pour l’éducation. Car que nous le voulions ou non, nous sommes voisins. Et vivre ensemble en paix exige que nous nous comprenions mieux.
Face aux défis complexes de la région, comment préparez-vous vos étudiants à apporter des réponses concrètes ?
Notre modèle pédagogique repose sur sept piliers communs à tous les étudiants, quelle que soit leur spécialité – ingénierie, médecine, sciences politiques, business, etc. L’un de ces piliers est axé sur les projets à impact social ou sociétal. Chaque étudiant mène un projet individuel et un projet collectif, en lien avec les besoins concrets d’une communauté, ici ou ailleurs dans le monde.
Ces projets peuvent consister, par exemple, à installer des systèmes photovoltaïques dans des zones rurales, ou à concevoir des filtres à eau pour des villages en Afrique subsaharienne. L’objectif est de sensibiliser à la responsabilité sociale, aussi bien de l’université que de ses étudiants.
Avez-vous des exemples concrets de diplômés ayant eu un impact réel ?
Oui, l’université soutient activement les étudiants porteurs d’idées innovantes. Nous avons mis en place deux incubateurs, couvrant toutes les étapes du développement technologique. L’un accompagne les projets en phase de recherche (TRL 1 à 4), l’autre ceux prêts à entrer sur le marché (TRL 5 à 9).
Un bon exemple est la startup POGO – People on the Go – spécialisée dans la mobilité urbaine durable. L’université l’a soutenue dès ses débuts avec un financement initial de 100 000 euros. Aujourd’hui, elle opère non seulement au Maroc, mais se développe aussi à l’échelle du continent africain, avec une valorisation de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Nous les accompagnons de l’idée à la réalisation, en les aidant à affiner leur modèle économique, à établir un business plan solide, et à trouver des partenaires financiers.
Quel rôle l’UEMF peut-elle jouer dans la construction d’une Méditerranée plus intégrée et tournée vers l’avenir ?
La construction d’une Méditerranée intégrée, stable et prospère dépend avant tout d’une volonté politique. Mais les universités ont un rôle fondamental à jouer : elles forment les citoyens et les décideurs de demain, en diffusant des valeurs universelles et en fournissant des compétences adaptées aux enjeux régionaux.
À l’UEMF, nous le faisons à travers nos programmes de formation, nos travaux de recherche, la diversité de notre communauté (plus de 50 nationalités), les projets étudiants à impact, mais aussi par nos initiatives pédagogiques transversales.
Nous organisons, par exemple, les « mercredis de la philosophie et de l’histoire ». Chaque semaine, nos étudiants explorent l’histoire commune de la Méditerranée et développent, grâce à la philosophie, leur capacité de discernement, pour ne pas céder aux discours extrêmes ou fanatiques.
Il ne suffit pas de former des ingénieurs compétents. Il faut aussi former des citoyens ouverts d’esprit, capables de construire plutôt que de détruire. C’est notre mission : transmettre à la fois un savoir-faire et un savoir-être. Offrir à nos étudiants une autre manière de voir le monde, de vivre ensemble, et de respecter la nature.
Nous avons hérité d’un environnement et d’un patrimoine que nous devons préserver pour les générations futures. Dans un monde confronté à la montée des extrémismes, au repli sur soi, et à la destruction de l’environnement, il est urgent de proposer un modèle éducatif plus frugal, plus respectueux de l’humain et de la planète.
Alors que notre région continue d’évoluer, des institutions comme l’UEMF jouent un rôle essentiel en tant que lieux de dialogue, d’innovation et de coopération. L’UpM reste pleinement engagée à soutenir des modèles éducatifs qui placent les jeunes au cœur d’un avenir plus inclusif et durable.