INTERVIEW – Fathallah Sijilmassi : “The long term solution lies in an inclusive development”
INTERVIEW (FRANÇAIS):
L’UpM est, pour certains, un outil précieux qui est sous exploité. Pour d’autres, cet outil serait inadapté aux réalités. Quel est votre avis ?
J’aimerais, tout d’abord, dire combien je suis heureux de me trouver ici en Tunisie pour cette visite officielle et remercier le gouvernement tunisien pour son invitation.
J’ai été honoré d’être reçu par le chef du gouvernement tunisien, S.E. M. Habib Essid. J’ai aussi eu des entretiens bilatéraux avec le ministre des Affaires étrangères, S.E. M. Taïeb Baccouche, avec le ministre de l’Environnement, S.E. M. Néjib Derouich, et avec le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, S.E. M. Yassine Brahim.
Après les attentats terroristes abominables perpétrés en mars et juin dernier, je tiens avant toute chose à exprimer de nouveau toute ma solidarité avec le peuple tunisien et toute la confiance qu’inspire l’avenir de la Tunisie et l’action de ses autorités.
Concernant plus précisément votre question, effectivement, l’Union pour la Méditerranée est une institution importante aujourd’hui. Face aux drames de l’immigration illégale, du terrorisme et de l’extrémisme, la solution à long terme réside dans un développement inclusif, qui conforte la cohésion de nos sociétés à l’intérieur des pays, et entre nos peuples à l’échelle de la région. Cette approche équilibrée de la coopération régionale est aujourd’hui, plus que jamais, essentielle.
Face aux défis mais également des opportunités existantes, le besoin d’intégration régionale est plus important que jamais. Celle-ci est trop faible, en particulier au Maghreb. C’est la raison pour laquelle l’ensemble de notre activité est orienté vers l’objectif stratégique de l’intégration économique régionale, dont l’importance est fondamentale pour l’avenir. Je pense que nous avons la possibilité de voir dans les prochains mois le rôle de l’UpM se consolider davantage à la faveur du 20ème anniversaire du processus de Barcelone et de la révision de la politique européenne de voisinage, et grâce à l’engagement des coprésidences et de l’ensemble des pays membres.
Avec 33 projets labellisés d’une valeur de 5 milliards d’euros, l’UpM est devenue un instrument de référence pour ses États membres et les acteurs de la coopération en Méditerranée. Elle promeut la nécessité d’une approche régionale globale, prenant en compte la nécessité d’une approche équilibrée entre la dimension sécuritaire et celle du développement ainsi que des nombreuses opportunités économiques à saisir.
L’organisation dispose d’un secrétariat général opérationnel, formé d’une soixantaine de diplomates, financiers, gestionnaires de projets, issus de 25 pays de la région et de représentants de la Commission européenne, et des institutions financières (BEI, Berd, CDC). Sous l’impulsion de la co-présidence active de l’Union européenne et de la Jordanie, les 43 pays membres de l’UpM confirment pleinement leur ambition méditerranéenne et souhaitent l’opérationnaliser de façon concrète. J’en veux pour preuve les sept réunions ministérielles de l’UpM qui se sont tenues depuis 2013 dans des secteurs prioritaires et dont le Secrétariat assure le suivi opérationnel.
On reproche à l’UpM de fonctionner uniquement sous la forme d’un dialogue entre élites sans liens avec les peuples ni influence sur le cours des choses. Ne pensez-vous pas que l’UpM souffre d’un manque de visibilité ?
La priorité absolue de l’Union pour la Méditerranée est de placer la dimension humaine au centre de toute action. C’est une grande satisfaction de pouvoir réunir régulièrement des acteurs de la coopération en Méditerranée qui découvrent, à travers nos actions, que ce qui les unit est plus important que ce qui les sépare.
L’UpM est aujourd’hui la seule organisation intergouvernementale qui rassemble tous les pays de l’UE et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. A ce titre, nous agissons comme une plateforme de dialogue et d’action qui réunit régulièrement des décideurs politiques mais aussi les experts, les promoteurs de projets, les représentants du secteur privé, de la société civile, de think tanks et des institutions financières. Ce partage d’idées, priorités et meilleures pratiques donnent naissance à des initiatives concrètes d’intérêt commun pour les citoyens de la région.
Dans le secteur par exemple de l’autonomisation des femmes, les dix projets que l’UpM développe actuellement concernent 20 pays et 50.000 bénéficiaires dont des écolières, des jeunes femmes défavorisées, des étudiantes et des femmes entrepreneurs de la région et sont le résultat de la mobilisation de près de 1.000 acteurs publics et privés.
L’Union pour la Méditerranée, comme toute structure multilatérale, a vocation à s’adapter à son environnement régional et international. C’est pour cette raison que nous avons adapté nos priorités aux thématiques de l’emploi, du développement urbain, de la jeunesse et du renforcement du rôle des femmes dans la société. Cela se fait en complément de notre action dans d’autres domaines prioritaires tels que le transport, l’enseignement supérieur, l’eau, l’environnement et des énergies renouvelables.
Les moyens financiers alloués à cette organisation semblent ne pas être suffisants pour lui permettre de développer convenablement la coopération euroméditerranéenne, notamment dans le domaine de l’éducation, de la formation et de la recherche ?
Nous sommes conscients du contexte international particulièrement difficile sur le plan financier et budgétaire. Malgré ce contexte défavorable, je suis heureux de vous annoncer que, sur les 33 projets labellisés, près de la moitié ont déjà trouvé des financements et sont aujourd’hui en cours de mise en œuvre. Lorsque nous avons des initiatives sérieuses, qui représentent une priorité pour les gouvernements, qui sont promus par des acteurs de la coopération crédibles, nous trouvons les financements adaptés auprès de nos multiples partenaires financiers, tels que la BEI, la Berd, la Commission européenne et du secteur privé. Ma préoccupation majeure aujourd’hui, c’est la qualité, la crédibilité et le sérieux des initiatives que nous portons, parce que quand ces trois conditions sont réunies, les financements suivent.
Nous avons à présent plus d’une dizaine de projets mis en œuvre dans le domaine de l’éducation, de la formation et de la recherche. Un de nos projets phares est l’Université euro-méditerranéenne de Fès (Uemf), qui constituera un nouveau pôle régional d’excellence et qui sera prêt à accueillir la première promotion en 2016 et près de 6 600 étudiants de toute la région à l’horizon 2024. L’université offrira un large éventail de programmes, allant des sciences humaines et sociales à l’ingénierie, et les cours seront axés sur des sujets prioritaires pour le développement de la région. La Tunisie joue d’ailleurs un rôle actif dans ce projet.
Qu’en est-il des projets de l’UpM initiés en Tunisie ?
Nous avons actuellement vingt-cinq projets régionaux labélisés qui impliquent la Tunisie en tant que pays bénéficiaire, ce qui représente 75% du nombre total de projets labélisés par l’UpM. L’ensemble de ces projets sont gérés en étroite coordination avec le gouvernement tunisien et ses priorités.
Le projet le plus emblématique est le Programme intégré pour la protection du lac de Bizerte contre la pollution qui vise à réhabiliter l’environnement et la qualité de l’eau de ce lac grâce à des efforts de dépollution et de prévention de la pollution, ce qui permettra d’améliorer les conditions de vie de près de 400 000 habitants vivant à proximité. Ce projet est déjà dans sa phase de mise en œuvre et je me réjouis de son lancement prochain.
Je voudrais citer également le projet de Sfax-Taparura, qui est un programme intégré d’aménagement de la côte nord de Sfax, la deuxième plus grande ville de Tunisie. Le projet prévoit la réhabilitation de ses plages et la création de 420 hectares de terre pour étendre la région métropolitaine, au profit de ses habitants et de ceux du Grand Sfax, soit près de 500 000 citoyens. Ce projet fait partie de l’Initiative pour le financement de projets urbains (Upfi) qui vise à promouvoir et développer des projets urbains innovants et durables dans la région euroméditerranéenne qui puissent servir d’exemple de bonnes pratiques et ce, en partenariat avec nos partenaires des institutions financières dont je salue l’engagement.
La Tunisie participe aussi à des projets UPM dans de multiples domaines tels que le développement des entreprises, la création d’emplois, l’autonomisation des femmes, etc.
Je suis très heureux de la dynamique actuelle que nous avons avec la Tunisie et les discussions menées lors de ma visite ouvrent des perspectives encourageantes pour travailler sur de nouvelles et ambitieuses initiatives qui contribueront aux actions menées pour le développement du pays.
Quelles sont les incidences de vos projets et leur adéquation avec les attentes tunisiennes en matière économique et sociale ?
Des défis grandissants touchent actuellement notre région. Les défis tels que la lutte contre le terrorisme ou la radicalisation confirment, par leur ampleur et leur impact, la nécessité d’une action régionale collective. Aucun pays aujourd’hui ne peut à lui seul faire face à tous ces défis. La réponse à ces défis est le développement socioéconomique, le renforcement du dialogue culturel, l’approfondissement de l’intégration régionale, le rapprochement entre les sociétés civiles sont donc des objectifs primordiaux.
Il est important que les différentes politiques qui sont engagées dans la région puissent se matérialiser par des actions concrètes, visant à apporter la stabilité et le développement dans la région. L’objectif de l’Union pour la Méditerranée est de promouvoir des projets et des initiatives régionaux ayant un impact direct sur la vie des citoyens. Les vingt-cinq projets régionaux qui concernent la Tunisie s’adaptent à la réalité sur le terrain et visent à améliorer la vie des citoyens au quotidien dans des domaines comme l’emploi des jeunes, l’autonomisation des femmes et le développement durable.
Face au chiffre beaucoup trop élevé de jeunes sans emploi en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, nous avons lancé en 2013, à Tunis, l’initiative Med4Jobs visant à améliorer l’employabilité des jeunes et à promouvoir une culture de l’entrepreneuriat en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban Maroc, Palestine et Tunisie. Pour ne citer qu’un projet à l’intérieur de cette initiative, le Réseau Entreprendre a déjà encadré 82 entreprises tunisiennes et créé 480 emplois.
Le programme Jeunes femmes créatrices d’emploi, qui a aidé, dans sa première phase, près de 800 étudiantes de 32 universités participantes en Jordanie, au Maroc, en Palestine et en Espagne à entreprendre leur propre projet d’entreprise, lance maintenant sa deuxième phase et étend son programme à la Tunisie.
Quel rôle peut jouer la Tunisie, en dépit de sa situation économique fragile, pour assumer un rôle important au niveau de la coopération euroméditerranéenne ?
La Tunisie joue un rôle important dans les relations euroméditerranéennes vu son importance géostratégique et s’est toujours engagée activement en faveur de la paix, la stabilité et le développement dans la région.
En tant que pays maghrébin, disposant de relations très étroites avec l’UE et engagé dans de nombreux processus régionaux (UMA, 5+5, Accord d’Agadir…), la Tunisie est un partenaire privilégié pour l’UpM.
Je veux rendre ici un hommage appuyé à la vitalité de la société civile tunisienne, ses femmes, ses jeunes, ses universitaires, ses ONG ainsi qu’à son secteur privé.
Tous ces facteurs nous ont permis, lors de mes entretiens à Tunis, de marquer fortement notre volonté commune de renforcer encore davantage la coopération existante entre la Tunisie et l’UPM.
Vous avez parlé de la situation économique fragile de la Tunisie. Moi, je vous dirai que la Tunisie est une force pour la Méditerranée.
Quel est le rôle de l’UpM dans l’élaboration d’une nouvelle politique européenne de voisinage ?
La coprésidence de l’UpM étant assurée par l’UE, comme je l’ai indiqué plus haut, l’articulation et la cohérence entre nos activités et la politique européenne de voisinage est évidente et tend à se renforcer. Je veux aussi saluer le rôle de la coprésidence jordanienne. L’UpM vise à assurer deux objectifs majeurs.
Le premier est le renforcement de la coopération régionale et de l’intégration régionale. Le deuxième est celui de la co-appropriation des décisions et des orientations entre le Nord et le Sud de la Méditerranée.
Avec ces deux objectifs, c’est donc une cohérence et une articulation évidente que nous avons avec la PEV (Politique européenne de voisinage). La révision en cours de la PEV, les nombreuses consultations qui ont eu lieu avec les pays du Sud et qui ont impliqué l’UpM montrent clairement la volonté de renforcer ces deux dimensions.
Je formule le souhait que les activités de l’UpM puissent connaître une accélération encore plus forte grâce à un dialogue politique de haut niveau renforcé. L’année 2015 est à cet égard importante.
Source: La Presse de Tunisie